Perfide Censure

Publié le par trapped

Slogans, débats, pubs, images... On nous noie d'informations en tout genre, sur tous les thèmes, toutes les pseudo-questions d'actualité, on nous parle à outrance de tout et de rien...
De rien surtout. Car, si l'on se penche de plus près sur la question,  elle finit par éveiller des doutes en nous. Est-ce vraiment que la liberté d'expression nous permet de parler de tout, de tout montrer? Ou bien, n'est-ce qu'un écran de fumée pour masquer des sujets qui dérangent ou restent encore tabous. Est-ce que finalement montrer ou dire trop ne servirait pas une nouvelle forme de censure?
Ne pas censurer par l'interdiction (quelle soit en amont d'une production ou en aval à travers des procès à n'en plus finir) mais censurer par la privation.

L’écrivain Bernard Noël explique que la surdose d’informations (ou semblant d’informations) provoque une paralysie des sens, une occupation totale du « champ mental » qui empêche la pensée individuelle de se développer. La censure s’exerce donc par la privation d’analyses individuelles ; on n’interdit plus clairement mais on impose une vision omniprésente. La télévision, par exemple, propose « un langage visuel qui sert de prototype à l’imaginaire et au sensible». (1)
La censure s’exprime donc à travers le contrôle d’une image et dans la surexposition de celle-ci, empêchant ainsi la diffusion ou un impact trop fort d’images politiquement incorrectes.

Et s'il en est ainsi des images, la parole n'est pas épargnée. Nous pouvons aborder tous les sujets (ou presque) mais quel langage utilisons nous pour en discuter?
Georges Orwell, dans 1984, anticipe à travers le concept du novlangue, ce langage réduit au minimum de vocabulaire pour empêcher toute pensée subversive de se développer, pour réduire à néant toute critique de l'État, pour diriger et restreindre les idées.
Cette contre-utopie n'en est pas une, il suffit de voir les mots que nous employons aujourd’hui pour comprendre, en y réfléchissant un peu, que nos idées sont dirigées par le langage que nous employons.  Mettre des mots positifs sur des concepts négatifs empêchent une véritable critique. 

Pour exemple, reprenons simplement ce que décrit la coopérative d'éducation populaire Le Pavé dans son dictionnaire de la langue de bois lorsqu'elle dénonce le langage positif qui définit aujourd’hui le capitalisme. Ce dernier devient à présent «développement, la domination s’appelle partenariat, l’exploitation s’appelle gestion des ressources humaines, et l’aliénation s’appelle projet. Des mots qui ne permettent plus de penser la réalité, mais simplement de nous y adapter en l’approuvant à l’infini. Des «concepts opérationnels» qui nous font désirer le nouvel esprit du capitalisme, même quand nous pensons naïvement le combattre. Notre langage est doucement fasciste, si l’on veut bien comprendre le fascisme comme l’élimination de la contradiction. »
Une censure de la pensée qui se fait insidieusement car on l'intègre inconsciemment.

Comment critiquer, comment être subversif quand on supprime à notre insu les moyens de le faire?
C'est ce que souligne Pascal Durand dans La censure invisible lorsqu'il marque la différence entre propagande et idéologie: « l'une impose, édite, exige, galvanise; l'autre inculque, dicte silencieusement, suggère » Il est donc plus facile de s'opposer à la première qu'à la seconde et notre modèle de société correspond bien davantage à cette dernière.
Cette censure que l'on ne voit pas, qui n'existe pas officiellement, se joue à tous les niveaux. Du langage à l'image mais aussi dans la presse qui est « soumise à une opinion si dominante et si commune qu'elle se fait oublier comme opinion » et que très peu de journalistes s'y opposent.
Ou encore dans l'édition, où le choix du plus rentable permet d'écarter certains livres aux opinions dérangeantes. On pourrait opposer à cela qu'il s'agit d'un choix et non d'une censure. Oui, mais ce choix unique est partout et c'est celui que l'on voit de prime abord. Pour avoir accès à autre chose, il faut chercher, se renseigner et, surtout, comprendre que ce que l'on nous met devant les yeux ne sont que les produits servant à masquer ce qui gêne vraiment.

Privés d'un pluralisme de pensée, de certains concepts, nous nous acharnons à nous battre contre de l'invisible, de l'impalpable, contre une censure qui ne dit pas son nom et qui, surtout, s'insinue sournoisement dans nos vies à tel point que l'on en aurait très peu conscience.
Alors, la véritable liberté d'expression, on en reparlera une prochaine fois...

 

Julie

 

 

1: Ne pas croire ses yeux, état de la « sensure », l’écriture et le corps, entretien avec Bernard Noël, revue Mouvement 46 janv-mars 2008

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